ARCHITECTE, URBANISTE ET DESIGNER, Jean-Michel Wilmotte aime être là où on ne l’attend pas. Tous les sujets l’intéressent, du plus haut de gamme au plus accessible, du plus petit au plus imposant, afin de remettre en question et de « réinventer » à chaque fois, toujours avec la même exigence de qualité et le même souci du détail. Rencontre avec celui qui a réinventé le Lutetia.
M. Wilmotte, quel challenge vous faut-il relever en concevant un hôtel ?
J.-M.W. : Il y a deux choses bien différentes : faire un hôtel ET faire le Lutetia qui est certainement l’un des plus grands hôtels de la Rive gauche. Il convient de repartir aux origines : on a ici un bâtiment construit par la volonté de la famille Boucicaut pour accompagner le Bon Marché, leur grand magasin.
Et on a une date, 1910 : c’est l’époque de transition entre Art nouveau et Art déco. C’était le point de départ. Il faut se pencher ensuite sur la qualité architecturale de ce bâtiment. Nous avons découvert tout le travail magnifique d’ornementation réalisé sur les fenêtres, sur les corniches, sur les balustres. Vraiment extraordinaire.
Qu’avez-vous fait pour différencier le décor du Lutetia de celui des autres palaces de la capitale ?
J.-M.W. : Que ce soit dans les appliques en verre, les traitements des sols, des murs, les poignées de porte, les lavabos, la robinetterie, les luminaires… tout a été conçu et dessiné spécifiquement pour le Lutetia. La réinterprétation du mobilier a vraiment été passionnante. Nous sommes partis du mobilier ancien en utilisant des matériaux différents : par exemple, on retrouve des bergères à oreilles, mais le cannage est remplacé par des lianes de cuir…
Nous avons par ailleurs introduit le thème du bois pour amener une dimension chaleureuse au projet. 1910, c’est l’époque des grands transatlantiques : l’idée est de rappeler un peu l’atmosphère des grands yachts d’autrefois à travers ce bois verni que l’on retrouve dans toutes les circulations, un peu comme des coursives de bateau, l’objectif étant de créer un contraste avec les chambres très lumineuses.
Avez-vous des anecdotes à nous raconter ?
J.-M.W. : Les baignoires qui pèsent une tonne, réalisées en une seule pièce de marbre. Mais ce n’est pas une anecdote, c’est une réalité. Plus que des anecdotes, je parlerais d’émotion. Par exemple, quand on casse une chambre et que l’on sait que cette suite est celle où le général de Gaulle a passé sa nuit de noces. On a envie d’en garder des traces. Il y a toute l’histoire qui s’est construite depuis 1910, et puis il y en a une deuxième, celle qui s’est superposée à la première dans les années 60-70, quand l’hôtel était le QG des artistes, l’endroit où ils dormaient, leur deuxième maison. Les artistes et les couturiers. Tous ceux qui sont passés dans ce lieu l’ont tour à tour marqué. On essaie de faire revivre tout ça. Avec cette réouverture, une nouvelle vie va s’installer.