Thibaut, le rapport à la beauté sera-t-il rendu fondamentalement différent dans le futur ?
Thibaut N’Guyen : Si la question mérite bien sûr d’être posée, limiter la beauté du futur à une beauté technologically enabled est sans doute trop réducteur. La technologie s’insère dans une vision de la beauté déjà en mutation pour des raisons bien plus vastes, qui ont davantage trait aux évolutions d’état d’esprit des femmes – et des hommes – dans une période de changement sans précédent.
Devenir autre, muter, évoluer est une vraie tentation : utiliser le maquillage 3.0, les devices de beauté connectés pour devenir un better-myself.
T.N. : Dans cette transformation-là, la beauté travaille à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur pour en finir une fois pour toutes avec les beauty enemies que sont le vieillissement, le stress, la pollution. Elle propose d’agir sur les déterminants physiques intrinsèques avec des nano-particules actives ou des nano médicaments qui viennent agir sur nos cellules, et modifier jusqu’à l’ADN. Elle propose aussi d’expérimenter de multiples apparences de manière simple et rapide avec des masques 3D qui permettent de passer d’une esthétique à l’autre, de s’essayer à plusieurs identités différentes au gré des humeurs, des situations et des opportunités. Elle propose le transformisme et l’invulnérabilité comme promesses ultimes, renouant au passage avec les fameux « philtres de beauté » qui donnent des pouvoirs et des aptitudes variables à leur possesseur, en version virtuelle cette fois-ci. Elle propose de devenir des Real Humans.
Est-ce qu’il faut tout miser sur cette hypothèse d’une beauté techno-transformiste ?
T.N. : La beauté connectée fait miroiter un monde où la machine gèrera les gestes rituels, fera l’effort de maquillage et d’apparence à la place du sujet. Mais qu’arrivera-t-il quand chacun pourra sur un simple clic adopter l’un des 20, 30 ou même 100 looks prédéfinis ? Le talent de maquillage, l’effort, le rite des gestes qui participent beaucoup de la valorisation du résultat auront disparu, dans un monde où tout le monde peut obtenir un résultat identique et standardisé grâce à la technologie connectée. Identité individuelle et singularité feront à nouveau défaut, laissant la beauté vide de sens, sans créativité, expression de soi ni différenciation. Or, c’est précisément dans le hasard du résultat que réside la puissance des gestes de beauté, et qu’opère la magie de la transformation positive. Si le procédé est à 100% paramétré pour un résultat identique et conforme à chaque fois, il y a fort à parier que l’humain remettra de l’imparfait, de l’imprévisible pour retrouver la magie du rituel beauté, et sa singularité imparfaite.